La moutarde victime de l’effet papillon

Rédigé le 21/06/2022
par Nadège Hubert

Gel hivernal chez les uns, canicule estivale chez les autres ; contraintes agricoles en Europe ; problèmes de conteneurs dans le monde… Et voilà la filière bourguignonne de la moutarde en souffrance au point que, cet été, les barbecues pourraient s’organiser sans sa présence à table. Pour réduire leur dépendance aux graines étrangères, les industriels de l’agroalimentaire tentent pourtant, depuis plusieurs années, d’inciter les agriculteurs du territoire à reprendre la culture de la moutarde.

À peine 5 % des graines de moutarde utilisées par les industriels de Bourgogne-Franche-Comté proviennent d’Ukraine. Le conflit avec la Russie n’aurait donc dû impacter que très faiblement la production régionale. Sauf que le secteur souffrait déjà de problèmes d’approvisionnement avant même que les troupes russes n’envahissent l’Ukraine. « En avril 2021, le gel a réduit les récoltes bourguignonnes de 50 % tandis qu’en juillet 2021 un dôme de chaleur sur le Canada a eu le même effet sur les rendements.

L’Ukraine devenait un plan de secours pour faire la jonction avec la prochaine récolte », explique Luc Vandermaesen, directeur général de Reine de Dijon à Fleurey-sur-Ouche (165 salariés et 50 millions d’euros de chiffre d’affaires) et président de l’association moutarde de Bourgogne (AMB), qui réunit les quatre producteurs de moutarde du territoire : Reine de Dijon, Moutarderie Fallot, Européenne de condiments et Unilever pour les marques Amora et Maille. Ensemble, les industriels représentent 90 % du tonnage français de moutarde. « À nous tous, nous avons besoin de 32 000 tonnes de graines pour produire nos moutardes », précise Michel Liardet, président d’Européenne de condiments à Couchey (120 salariés et 57 millions d’euros de chiffre d’affaires). Si la moutarderie Fallot à Beaune (25 salariés et 10 millions d’euros de chiffre d’affaires) se fournit exclusivement en Bourgogne, Européenne de condiments s’approvisionne à 80 % au Canada pour produire 25 000 tonnes de moutarde chaque année.

Plus de proximité

« La meilleure stratégie à long terme consisterait à ramener la production en France, dans d’autres départements, pour que ce produit français emblématique ne dépende plus du Canada », assure Michel Liardet. Pour y parvenir, la filière doit séduire le monde agricole, tenté par d’autres cultures plus rentables. « Actuellement, 3 000 hectares sont cultivés en moutarde mais il y en a eu jusqu’à 6 000 », rappelle Marc Désarménien, dirigeant de la Moutarderie Fallot.

Près de 200 agriculteurs se sont bien engagés dans la culture, mais les industriels doivent lutter contre le désintérêt des agriculteurs pour cette brassicacée. « Il ne faudrait pas que cela diminue encore », s’inquiète Marc Désarménien. Les membres de l’association travaillent par ailleurs à fidéliser leurs producteurs en déployant une politique tarifaire attractive. « La filière, exemplaire, s’engage à prendre toutes les quantités produites à un prix garanti, quelle que soit l’évolution du marché, pour apporter une sécurité aux agriculteurs », rappelle Luc Vandermaesen.

Le président de l’AMB met en exergue une autre problématique, celle des produits phytosanitaires autorisés, dont la liste des autorisations fond comme neige au soleil. « Face au méligèthe et aux altises, il n’y a plus qu’un produit autorisé, et encore en quantité faible, mais il pourrait bientôt être interdit. » Une inquiétude partagée par Marc Désarménien : « La France va plus vite que l’Europe. Si se priver de chimie est une bonne chose, il faut le temps de trouver des solutions pour ne pas risquer de mettre une filière en difficulté ». Parmi les alternatives envisagées, les industriels de la moutarde se sont associés à l’Institut Agro Dijon (ex-AgroSup Dijon) pour imaginer de nouvelles espèces de graines de moutarde plus résistantes au froid et capables d’offrir de meilleurs rendements. Mais en attendant que l’on regagne une certaine souveraineté, la moutarde pourrait se faire rare cet été.