Jean-Philippe Girard nous reçoit à l’heure du petit-déjeuner, en terrasse avec vue sur le green de Norges. Un lieu apaisé pour évoquer les trois vies de cet homme à qui tout réussit, entrepreneur dans l’âme, fondateur d’une incroyable entreprise devenue une ETI (entreprise de taille intermédiaire), désormais président de l’agence de développement voulue par la métropole, Dijon Bourgogne Invest. Autour d’un café, on parle business, golf, alpinisme, attractivité du territoire, start-ups, Macron, patrimoine et vin.
Décideur. Après avoir cédé votre entreprise Eurogerm à ses cadres, vous avez pris cette année la présidence de la toute nouvelle agence Dijon Bourgogne Invest. Une nouvelle étape de votre vie ?
Jean-Philippe Girard. Ce qui m’a plu dans ce challenge, c’est d’ouvrir une troisième boucle. Ma vie a été consacrée au sport de haut niveau jusqu’à l’âge de 30 ans. Puis il y a eu Eurogerm, de la création à la cession. Là, je me suis demandé ce que j’avais envie de faire de cette troisième partie de ma vie qui commençait. Moins de Paris, plus de Dijon ! Continuer à entreprendre, ce qui m’a toujours animé, accompagner celles et ceux qui entreprennent, et puis transmettre cette passion d’entreprendre … Et cette conviction qu’on ne vieillit pas quand on a des projets ! Alors quand François Rebsamen m’a proposé de diriger la nouvelle agence d’attractivité économique , je ne suis même pas posé de question , j’ai dit oui.
Mais quand même, une question au moins se pose : une agence, pourquoi, pour quoi faire ?
Ce qui est en jeu, c’est l’attractivité du territoire et par conséquence l’emploi. Cet enjeu m’a séduit tout de suite. Ainsi que la vision de François Rebsamen consistant à confier à des chefs d’entreprise le destin économique de la métropole. Je ne suis pas président de Dijon Bourgogne Invest juste pour implanter des entreprises. Pourquoi ? Parce qu’un chef d’entreprise ne décide pas comme ça de s’implanter à Dijon.
L’attractivité, c’est tout un ensemble de sujets, de critères, y compris la dimension humaine de l’épanouissement personnel et familial de nos cadres et salariés auquel je suis très attaché. On vise beaucoup plus large que l’économique ! L’idée est de bâtir un écosystème autour de l’entreprise et d’être en posture, en tant qu’acteur économique, de dialoguer avec les élus et, si nécessaire, de donner l’alerte sur les signaux faibles et l’impact territorial, d’impacter positivement sur les commerces, la restauration, l’hôtellerie, le tourisme et l’ensemble des activités du tertiaire.
Que manque-t-il à Dijon et à la région aujourd’hui pour une entreprise qui s’implante ou se développe ?
Dijon est une pépite, un écrin aux portes du Grand Paris, du Grand Lyon et du Grand Est. Je dois une partie de ma réussite à Dijon. J’y ai attiré des cadres, des ingénieurs, des chercheurs… Je me souviens aussi le bonheur des clients , des fournisseurs quand ils venaient visiter l’entreprise et la région. Le succès d’une entreprise repose désormais sur un nouveau triptyque : économie, écologie, éco-construit. Soyons clairs, toutefois : on veut attirer des entreprises mais on n’a plus d’aéroport, ni de TGV pour Roissy ni de Wifi stable jusqu’à Montbard.
Trois handicaps qu’il faudra expliquer et surmonter pour attirer de nouvelles entreprises. Alors il faut avancer pas à pas, planter des idées comme on plante des graines, y revenir, répéter, séduire… Et puis valoriser ce qui marche bien, en particulier toutes ces tpe , peu , eti , groupes entreprises formidables. On n’a ni Elon Musk ni Steve Jobs ni bill Gates ici, mais on a Urgo, Seb , Lapierre et tant d’autres belles entreprises. Et puis une université et des grandes écoles rayonnantes.
Votre deuxième vie, c’était donc Eurogerm. Une page définitivement tournée ?
Je reste président du comité de surveillance mais une nouvelle page s’ouvre pour l’entreprise, avec un nouveau CEO. La transition s’est très bien passée, l’équipe est formidable, engagée, les chiffres en attestent pour 2021 malgré la tempête : 130 millions d’euros de chiffre d’affaires, + 15 % de progression au moins. Le passage de relais s’est encore mieux passé que je l’imaginais. Et il était indispensable car, avec les années, on est moins audacieux et il fallait remettre de l’audace dans Eurogerm. Transmettre, ça a été mon travail, ma préoccupation ces deux dernières années. Et quand j’ai transmis les rênes, je leur ai dit « Je crois en vous » et j’ai réinvesti 10 millions d’euros. Avec une croissance rentable annuelle moyenne de 14,9 % pendant 30 ans, Eurogerm a été une aventure humaine et entrepreneuriale incroyable, extraordinaire.
Entrepreneur vous restez, de toute façon. Il y a Rubis Capital, Steva, le Belagi…
Rubis Capital et Steva sont deux fonds d’investissement créés avec des entrepreneurs et des experts locaux, pour accompagner les entreprises en développement. Nous sommes présents aujourd’hui auprès d’une trentaine de sociétés en développement. Rubis investit des tickets jusqu’à 1 million d’euros, Steva plutôt entre 50 000 à 150 000 euros. À chaque fois, des coups de cœur qui reposent sur trois clés : le projet, la personne, les moyens. Exemple récent ? Matatie, créée par une femme dont la filleule est allergique et qui a créé une gamme de produits gourmands sans allergènes. Ça, c’est du vote utile ! On étudie le projet pour savoir si cela peut faire une entreprise, on écoute la personne en essayant de discerner si elle fera un bon(ne) entrepreneur(e) Et si c’est oui sur ces deux premiers points, alors on s’engage , on investit !
Et Belagi ? Cet ancien hôtel devenu finalement un hôtel d’entreprises dont le point commun est le bien-être dans toutes ses dimensions ?
C’est là une de mes grandes passions : faire revivre des lieux. J’ai commencé avec le golf de Norges, que j’ai repris en 1995 alors qu’il était en grande difficulté. Puis j’ai repris le tennis deux ans plus tard. Puis il y a eu le circuit Dijon Prenois, en co-investissement, relancé depuis 1999. Je m’intéresse aussi à des maisons chargées d’histoire : la villa Messner par exemple, que j’ai fait refaire par des compagnons du devoir. La rôtisserie du Chambertin, à Gevrey, qui a nécessité trois ans de travaux et où les talentueux Thomas et Lucie Collomb signent une cuisine excellente et durable. Le château Zilltener, à Chambolle-Musigny, que j’ai racheté il y a trois ans pour donner vie à un projet d’hôtellerie, de restauration et de spa innovant, un projet « impertinent » pour proposer la découverte de vins et de mets de manière différente…
Je pourrais aussi évoquer la cuverie Newman, à Beaune, vouée à devenir un « SuitHôtel œnologique ». Et puis donc le Belagi, cette ancienne maternité des allées du parc qui revit aujourd’hui sous la forme d’un institut de bien-être très innovant, dont la promesse est d’être bien dans sa tête, bien dans sa peau et bien dans son corps.
Vous nous recevez au golf… c’est le signe que c’est tout de même un endroit particulièrement cher à votre cœur, non ?
C’est un lieu extraordinaire pour prendre une grande bouffée d’oxygène, une bouffée de convivialité et de sportivité. Ici, à Norges, après le restaurant qu’ont repris en main Nicolas Isnard et David Lecomte [ndlr : chefs étoilés de l’Auberge de la Charme à Prenois], les projets portent sur la rénovation du club house incluant la création d’un rooftop qui permettra de boire un verre, d’organiser des séminaires, des colloques, des mariages, des baptêmes, des fêtes de famille, avec vue imprenable sur les greens. Après deux ans de sommeil forcé, nous allons surprendre en 2022, grâce à des animations inédites et grâce au chef d’orchestre de grand talent qu’est Denis Liébé, le directeur.
Comme une boucle qui se boucle, vous avez retrouvé la montagne, où vous vous lancez dans des ascensions spectaculaires. Quelle place a-t-elle dans votre vie ?
Je conçois la vie comme un tabouret à trois pieds : il y a l’espace professionnel, familial et personnel. Souvent, on n’est que sur deux pieds. Mais nous avons tous besoin de conserver un espace personnel. J’ai la famille – Carole, mon épouse, et mes enfants Lise et Axel. Et mon espace personnel, c’est la montagne et le golf.
Je fais chaque mois une sortie de deux-trois jours en haute montagne, avec deux copains guides. Des sorties plus ou moins dures. Là-haut, on se sent petit, on apprend humilité, on découvre des paysages en s’autorisant à vivre l’émotion. Là-haut, face à des paysages incroyables, tu ne penses plus à rien, tu es juste là. La montagne t’apprend l’endurance, la confiance, le rôle du premier de cordée qui peut emmener les gens à la catastrophe s’il se trompe (tout comme en entreprise). C’est un milieu où tout le monde est solidaire car si quelqu’un décroche, tout le monde décroche. C’est un monde où la sanction est rapide, brutale, on paie tout de suite le manque d’entraînement, on ne peut pas tricher, on est dans la vérité et l’effort. La montagne est une leçon de vie en même temps qu’elle autorise des moments inoubliables et magiques.
Quand vous redescendez, même pas fatigué, vous continuez, vous restez l’homme engagé, celui que l’on a connu au conseil national des Banques populaires ou à la tête de l’industrie agroalimentaire nationale ?
Je préside toujours le comité Sully, qui se réunit chaque mois au Cercle de l’union Interalliée, créé pour évoquer les grands sujets liés à l’agriculture, à l’alimentation et à la consommation. C’est toujours nécessaire de prendre de recul, de se remettre en question. Et je poursuis ma mission au service de mon pays sur ces mêmes sujets en œuvrant sur les cinq grands défis du comité stratégique de la filière alimentaire voulu par Emmanuel Macron. J’ai connu ce personnage hors du commun quand j’étais président de l’Association nationale de l’industrie alimentaire (Ania) et nous gardons un lien permanent.
Est-ce à dire que vous pourriez vous lancer en politique comme tant d’observateurs le pensent ?
Non. Je ne veux pas perdre ma liberté de parole et d’action. Je pense être plus utile à travers mes engagements actuels. Entrepreneur et politique, ce sont deux métiers différents et, d’ailleurs, très peu d’entrepreneurs ont réussi en politique. En revanche, je travaille avec les politiques, je crois à cet attelage ! Il y a des personnalités politiques qui marquent un territoire, c’est le cas pour Emmanuel Macron avec la France, pour François Rebsamen avec Dijon Métropole.
Alors quoi… pas d’autre projet ?
Si ! Je vais assouvir une passion secrète en devenant vigneron en Bourgogne. Je prévois le rachat d’un domaine. Je ne suis pas viticulteur, mais je suis passionné et je veux être au cœur de la fabrication du vin, de l’évolution de la vigne. Ce sera mon nouveau projet dès cet été !